Sire Sylvestre

Il se tenait devant moi, j’ignorais totalement comment il était rentré dans ma demeure, peut-être avais je laissé la fenêtre ouverte ? Quoiqu’il en soit il s’était retrouvé assis sur la table du salon tandis que je rentrais dans la pièce, ma première réaction avait été de lui parler, probablement ai-je tenté aussi de l’approcher, de le toucher. J’apprécie généralement assez les animaux, mais me connaissant je n’avais pu échapper à ce regard perçant, trop intelligent et humain à la fois, dépassant la conscience et la condition de l’animal et peut-être même celle d’un humain classique.

J’étais resté hébété devant ce pelage fauve et rayé de noir, arborant fièrement une toison crème du cou jusqu’au-dessus du ventre et qui épargnait sa tête à l’exception de ses babines qui me donnaient l’impression de former un sourire.

La langue du prêtre vint humecter ses lèvres et une expression pensive figea son visage tandis qu’il creusait sa mémoire l’espace de quelques instants.

Quand je l’ai appelé, par la formule consacrée bien sûr : « Minou minou. », j’ai perçu un son, je suis incapable de me souvenir de la tonalité exacte de sa voix mais il a dit distinctement « Je suis Magnus Aithusa, mais les gens m’appellent Sire Sylvestre. »

Ça, je ne l’oublierais jamais. Et c’est après un temps de stupéfaction, toutefois avant que je réponde, j’ignore combien de temps s’est écoulé, qu’il a ajouté « Bonjour prêtre Lucanis. »

J’ignore ce qui m’a le plus dérangé au premier abord, le fait qu’un chat était capable de communiquer à la lisière de mon esprit, ou que ce même animal connaisse parfaitement mon nom et ma profession.

J’ai probablement tenté de me réveiller à cet instant, sans succès, puisque le rêve s’est alors poursuivit. Comprenant que je me trouvais dans un songe… Ou peut-être ai-je simplement reconnu que ce monde empli de magie recelait de nombreux secrets mais surtout une explication simple, il ne s’agissait point d’un animal mais d’un homme usant d’un sort j’ai commencé à entretenir la conversation avec ce soi-disant Magnus.

Ce fut bien plus enrichissant que je ne le croyais au départ, tout aucun que surréaliste, il se présenta rapidement comme un voyageur dimensionnel, un « Marcheur de l’Ether », quand je l’interrogeai plus amplement à ce sujet il se mit à miauler distinctement, derrière ce geste j’en conclu qu’il faudrait être armé de patience pour démêler le vrai du faux et obtenir sa confiance, Magnus était méfiant.

Il me questionna à son tour et cette fois ses yeux se mirent à briller d'une lueur irréelle, d'un bleu à la fois marin et flamboyant, semblable à la représentation que je me faisais alors du mana en pleine combustion. Ses questions convergèrent au sujet des différents plans d’existence, mettant mes connaissances en la matière à rude épreuve si bien que je le conseillai de se rendre plutôt à l’école de magie, il rétorqua qu’étant lui-même un invocateur expérimenté leur aide ne lui serait d’aucun secours, et qu’il s’était tourné vers un érudit à cette fin. Quelque chose d’arrogeant s’échappait de lui à mesure que la conversation s’étirait dans le temps, il était à la fois armé d’une rhétorique simple mais plein d’assurance et de fierté.

Puis nos conversation a fini par dériver, des différents plans d’existence nous en sommes venus à partager nos connaissances, mais aussi quelques bribes de nos vies, c’est ainsi que j’appris que Magnus était en réalité un habitant de l'Éther, ayant détourné un portail en compagnie de son frère pour se rendre sur Vesperae, une pratique qu’ils avaient coutume d’utiliser semble-t-il, l’explosion de pouvoir avait terrassé un jeune mage inexpérimenté et l’avait tant vidé de son mana qu’il avait trouvé la mort des suites de l’expérience.

De peur de l’offusquer je ne pris aucune note, tâchant de retenir l’intégralité de ses propos troublants en conservant un calme de façade nécessaire à la bonne tenue de l’entretien, il s’exprimait avec une froideur qui m’hérissa les poils de la nuque tandis qu’il expliquait comment il avait arraché la vie à ce jeune garçon simplement pour se retrouver dans notre monde, comme si ce simple « accident » selon lui n’avait été qu’une feuille de plus balayée d’une grande place.

Il évoqua la première rencontre avec deux locaux de Proncilia, Asbeth et Jahonne Iphurnus, deux jumeaux, ce nom me mit immédiatement mal à l’aise quant tenu de sa lourde réputation.

Dans un échange équitable ils devinrent les partenaires de chacun des deux enfants, Asbeth héritant de Magnus pour guide ésotérique dans les arts magiques, et principalement psychiques, et Jahonne de son frère, j’ignore quelle fut la contrepartie que reçurent les deux voyageurs de l’Ether, si Magnus l’a évoqué je l’ai oublié. Ai-je pu oublier quelque chose de si important ?

Asbeth et lui menèrent leur barque jusqu’à ce que pris de remords selon ses dires l’Iphurnus quitta les rangs de la Secte du Troisième Œil, livrant son ancienne famille aux autorités, une décision que ne semblait pas partager Magnus qui aurait voulu éviter le plus d’ennuis possible à l’entendre.

Asbeth devient Anders, professeur à Proncilia comme première épreuve au sein de l’armée et Magnus se renomma officiellement Sylvestre, j’imagine que le Sire étant un signe supplémentaire de sa propre vanité.

Grâce à cette place privilégiée il étudia dans le secret tout ce qui pouvait être à sa portée dans le savoir magique disponible à l’école, puis même au Temple de Donblas pour qui il ne semblait pas porter beaucoup d’intérêt, le Divin l’ennuyant considérablement. Grâce à ses nouvelles connaissances il découvrit l’existence de chercheurs sur les Marcheurs et se mit à son tour à leur recherche, c’est ainsi qu’il fera la rencontre par l’extension d’Anders d’une certaine Syrielle Delacourt avec qui il ne put malheureusement jamais s’entretenir plus amplement en raison de complications à Proncilia : Des cauchemars frappants toute la ville, une histoire qui me rappela quelques événements s’étant passés il y’a de ça quelques mois.

Dans des circonstances troubles Anders et Magnus se séparèrent et il refusa de m’en dire plus à ce sujet, hasardant son regard sur des points invisibles autour de moi, comme s’il parvenait à voir l’indicible et que des yeux et des oreilles indiscrètes se trouvaient autour de nous.

A ce jour il a finalement terminé sa course au sein du Manoir Hertham, aux côtés de la jeune héritière Cora et du fils d’Anders, Aleister dont il est devenu le Mentor. Il aura aussi désigné avec un certain mépris non dissimulé Amarante et Davos, pardonnez-moi Willanjis, je ne retransmets que ses dires, les deux chats de la demeure.

Lorsque je l’ai interrogé sur ses objectifs il a répondu d’un éloquent « Miaou » poli.

Puis après m’avoir remercié de lui avoir accordé mon temps, je me suis soudainement réveillé, comme si le rêve touchait naturellement à sa fin.

Rien n’avait bougé et je m’étais simplement endormi dans mon bureau, mais tant de détails si clairs dans ma mémoire malgré quelques blancs éparses m’ont poussé à écrire le compte rendu de ce songe.

Lucanis contempla le document, à mesure qu’il avait rédigé le fil conducteur de sa rencontre onirique s’estompait et une graine germait dans son esprit.

La graine devint une idée, fixe à présent.

Et d’un geste rageur il lança son compte rendu au feu, personne ne croirait les inepties qu’il avait dû rêver, et n’était-il pas prêtre de Dranig après tout ? Qu’avait-il à faire des fadaises de Dranigba ?

Le lendemain il regretta.

Quelques jours plus tard il oublia.

Mais jamais il ne remit la main sur ses fichus ouvrages disparus de sa bibliothèque.