Quelques heures plus tôt.
Le dragon poussa les portes de son antre. Les mains recouvertes de sang et une odeur de brûlé dans son sillage n’avaient pas suffit à émousser la rage qui l’habitait. Déjà, avant, elle haïssait les ombromanciens et leurs associés. Des couards qui se dissimulaient dans les ombres, incapables de sortir hors de leur domaine impie.
Le feu crépitait encore en elle, sa flamberge lui insufflait de sombres pensées. Le dragon se retenait de faire déferler l’envers sur Vesperae pour la retrouver, et le temps qui s’écoulait rendait chaque jour sa mort plus tangible, probablement trop.
Il lui fallait prendre une décision, faire un choix et s’assurer que l’œuvre de Danyah n’en soit pas souillée. Tout ce qui commençait devait trouver une fin. Sur son bureau, en parfait état, trônait sur un coussin de soie un cristal. Son devoir avait été un rempart contre le dragon qui ne cessait jamais de rugir en elle, un bouclier levé à la face de sa corruption et de ses griffes profondément plantées dans son âme.
Depuis, cela avait été une lutte de chaque instant, un contrôle d’acier à imposer à celle qui chantait la mort en elle. L’assemblée ne la lâchait pas du regard et ses excursions seraient bientôt remarquées, ils tenteraient de reprendre l’ascendant sur l’école. De rebâtir leur censure sur la magie noire, de rendre ces enfants déjà stupides encore plus insipides qu’ils ne l’étaient en leur dissimulant la réalité de ce monde.
Ils renforçaient les cendres par leurs exactions et créaient des générations de mages incapables de se sortir du domaine des ombres, incapables d’appréhender le véritable pouvoir de la corruption. Ce pouvoir n’était pas une âme souillée, il n’était pas un simple meurtre, il était bien plus profond que ça, si vicieux que depuis la nuit des temps des personnes tombaient sous son contrôle. Elle la première.
Plus tard, dans la forêt.
La directrice avait troqué sa tenue pour une autre, nettoyé ses cheveux que le temps et la mort avaient blanchis. Pour une fois, elle n’avait pas dissimulé ses cornes, pas plus celle qui était brisée que celle qui faisait encore son œuvre et leur ivoire marbré de veines noires captaient les éclats de Danava.
La flamberge à sa ceinture, vidée de son maléfice, s’était apaisée et son murmure presque inaudible demeurait incompréhensible. Cela ne l’avait pas apaisée, mais avait enfermé le dragon au fond de son esprit. Elle attrapa le cristal qui s’illumina légèrement avant de se rapprocher du campement de Faern’aral.
Les causes désespérées méritaient des mesures drastiques. Pour les mener à bien, il fallait quelqu’un de suffisamment aliéné pour accepter d’en porter le poids et prendre les risques inhérents. Ils représentaient la cure pour ceux qui fautaient, et des rumeurs qui lui avaient été reportés, les membres gangrénés qui couraient encore n’étaient plus leurs associés.
Elle se présenta aux portes du campement et s’arrêta, observant autour d’elle, déployant l’affinité qu’elle avait pour la terre pour surveiller les alentours. La main déposée sur son arme, elle chercha du regard les gardes qui protégeaient le camp des intrus. Il était temps qu’elle rencontre Eldarion avant de prendre davantage de risques.
Devant le camp, laissant son pouvoir rôder autour d'elle autant pour s'annoncer que pour prédire qui viendrait à sa rencontre, Brunehilde Richetour attendit que les chasseurs de mages viennent à sa rencontre.
« J'ai moi aussi eu grand plaisir à discuter avec vous, ces occasions se font trop rares à mon goût, mais vous êtes quelqu'un de plus occupé que jamais, maintenant. Le Clan saura se souvenir des liens et de la cause qui nous unissent et je n'oublierais pas les nôtres. »
Elle tourna la tête aux propos de l’âme de Faern’aral, et éprouva à nouveau l’absence du symbole à son doigt. Les symboles avaient leur importance, qu’ils soient matériels ou non. Toute l’histoire en était jonchée : les gens mourraient pour les symboles aussi volontiers que pour leurs pères et mères. Combien de personnes seraient prêtes à mourir pour retrouver la Sphère de Vie et assurer ainsi à leur héritage une vie pérenne ? Tout comme Yvan Iphurnus avait été prêt à mourir pour venger la destruction du Calice de Saléos. Elle espérait qu’il s’en souviendrait.
« Ces liens m’honorent, ainsi que l’école de magie. Votre ordre a pérennisé des années durant et vous demeurez ceux qui réussirent à se défaire de la plaie qu’est la corruption. Leur rareté fait leur valeur. »
Bons, comme mauvais, avaient besoin de ces symboles. Eldarion pouvait représenter celui d’un renouveau pour la guilde des chasseurs de mages. Elle l’observa écarter le pan de la tente, avant de lever les yeux vers lui.
« Puisse le retour dans votre ville être sans tumulte, je vous ferais parvenir une bouteille d'hydromel que seul Cirel est en mesure de produire pour sceller à nouveau notre accord. Et peut-être que l'occasion se présentera de venir le boire à Trigorn, cette fois. » Son regard bleu s'irradia d'une légère lueur amusée « C'était un plaisir de vous recevoir, Brunehilde. »
« Il le sera. Je la conserverai jusqu’à ce que vous trouviez la route de Trigorn. Merci pour votre accueil et votre présence. » Elle inclina la tête, laissant son mouvement signifier ce qu’elle ne révéla pas. Il serait sans doute déjà trop tard lorsqu’il viendrait.
Elle sortit de la tente et s’éloigna du camp, resserrant sa prise sur le pommeau de sa flamberge, la magie répondit comme à son habitude avec une impatience qui se mêlait à son calme apparent.
Des décennies à parfaire son contrôle, à ne jamais lancer des sorts majeurs pour ne plus entendre le chant du pouvoir résonner à ses oreilles, mais elle était désormais prête à faire ce qu’il fallait pour protéger les siens et détruire Amecareth Iphurnus. Il était la peste, contaminait tout ce qu’il touchait pour en faire des monstres dénués de sentiments. Aleister en souffrait et peinait chaque jour un peu plus à lutter contre son influence. Un jour, il serait trop tard. Mais cette vermine continuait inlassablement de se terrer dans un des trous sordides que même Nagash aurait répudié.
Le dragon espérait qu’il s’en souviendrait, pour tuer le monstre, il lui faudrait en devenir un. Et si elle devait périr au fil d’une arme, elle voulait que ce soit celle de l’âme de Faern’aral.