Sacrifice Nécessaire

Sa rage était un poison qui sinuait dans mes veines, une haine omniprésente qui teintait chaque couleur de pourpre. Une époque lointaine s’imposait derrière mes paupières, des massacres commis en l’honneur de ceux qu’elle honnissait. La sorcière de guerre s’était réveillée et je ne savais plus comment l’empêcher de m’arracher mon individualité pour la faire sienne. La vague du deuil, figé dans la peine sans jamais pouvoir se finaliser m’immobilisait au fond de mon propre esprit. Je me débattis, en vain, face à quelque chose qui m’avait toujours dépassée et qui, aujourd’hui, était une force invincible.

Ils se rendirent jusqu’au rat et se saisir de son bras, un gémissement de douleur s’échappa de ses lèvres face à l’étau d’acier de leurs mains. J’étais incapable de desserrer les doigts.

« Tu es le seul à pouvoir agir. »

Ma voix était déformée par une chaleur dont son ton s’était agrémenté, et le pion que j’étais avait été renversé pour élever la partie à un niveau que j’étais loin de comprendre, mais dont les desseins ne m’échappaient plus. Il n’était plus question d’arracher le masque, plus question de récupérer les autres ; j’avais été scellée au fond de mon esprit. Je comprenais la douceur dont ils avaient fait preuve jusqu’à présent, jusqu’à ce qui leur importe vraiment soit mis en danger. 

Ses mots se noyèrent dans le tourbillon d’échanges que les deux personnalités avec lesquelles je partageais mon existence. 

« Ennya est au tapis ; je n’en suis pas encore à suivre Ixtelolotli dans son plan. Sauf si tu échoues à ton tour. »

Son regard était figé par la peur, comme si, alors que Billy Jean n’avait jamais rien compris à ce qui se tramait, en prenait enfin conscience. 

« Tu vas aller dans l’éther, tu vas y aller et chercher ce qui appelle la moitié de ton âme. Suis les pas du Chien, marche dans ses empreintes et quitte ce monde pour le prochain.

— Je… Je refuse. »

 

Dix fois je vis sa tête être décrochée, les cinq fois suivantes une simple claque, moins que pour le soldat qui vantait les mérites de l’union face à l’une des huit maîtresses du secret. Elle siffla, et ses yeux luisirent des éclats verts de prairies où ils avaient aimé s’allonger, avant sa mort. 

« Écoute-moi bien, Billy Jean. Tu es un rat, tu es né sans nom et ici : tu n’auras jamais ta place. Tu resteras un incapable toute ton existence, soldats et nobles te mépriseront et même les catins pour lesquelles ton cœur balance préfèreront la couche d’un capitaine à la tienne. Si demain un noble demandait sa main, elle accepterait. Et même lorsque tu l’auras emmenée, elle préfèrera le pouvoir à toi. » Ses doigts glissèrent sur sa joue, et je la poussais à s’adoucir à ne lui faire aucun mal. Lui, comme le soldat, la Trencavel ou les Serfs n’en méritaient pas tant. Autant dompter une bête sauvage avec une plume. « C’est ainsi que ce monde est fait, tu es mal né, et tu vivras avec cela. Là-bas, ils se fichent de ton rang de naissance, de la couleur du joyau qui a orné ton cou avant que nous te l’arrachions. Et nul ne t’aimera jamais à ta juste valeur, car même toi tu préfères l’ignorer.

— Vous vous trompez ! »

J’arrachai ma main de sa joue et la croisais dans mon dos, la retenant de l’étrangler et de ma voix se glissa le ton amer de Quetza.

« Trouve le chien. » Je lui confiai un objet. « Trouve le chien et demande-lui de t’aider. Trouve l’objet et remets-le-moi, à nul autre. Va. » Je grognai en fixant son air vide et hésitant. « Va et hâte-toi. »

Il déguerpit, comprenant l’urgence ou peut-être que Quetza fracturait mon contrôle sur elle à chaque seconde qui passait. J’entrouvris la porte de son courroux et malgré la fatigue qui raidissait chacun de nos membres, nous entrâmes en contact avec nos archimages, l’élite qu’elle sacrifierait bien volontiers pour les empêcher d’entrer en possession d’un bout du cadavre, peut-être même d’un héritier. L’idée me fit frémir et lui rendit le pouvoir. 

 

Elle se projeta jusqu’à d’autres traqueurs pour les lancer sur la piste de Viviane Fossecrelle, la fille d’une famille de mage noir. La rage envers ces familles au sein corrompu me le rendit et cette fois je le lui arrachais suffisamment longtemps pour nous envoyer dans un lieu où elle s’apaiserait. 

Le secret encore apposé ne laissait traverser que les êtres les plus avides, face à la raison pour laquelle ils faisaient tout ça, ils se turent. Enfin immobiles, enfin apaisés, j’expirai et déposai le masque à côté de moi. 

Pandore s’installa à côté de moi, et sa voix m’apaisa à son tour.

« Ennya est entre de bonnes mains. Elle ne trouble presque plus ma toile de vie. » Ses mains maigrichonnes se déposèrent sur ses genoux. « Nous cherchons Viviane.

— On ne trouve pas Viviane, c’est elle qui nous trouve.

— Et tu dis ça…

— Parce que la dernière fois, c’est moi qui l’ai tuée. Dehlia l’a scellée, mais elle a réussi à le briser, peut-être est-elle morte.

— Tu ne leur as pas dit que c’est avec un sacrifice qu’ils ont réussi ?

— Nous avons décidé de mentir à certains sujets. Nous n’avons aucune confiance en ceux qui nous mentent.

— Tu as prêché le faux pour obtenir le vrai ; me voilà surprise.

— Je ne cherche pas le vrai, j’évalue à quel point leur survie m’importe plus que leur mort. Autant pour certains l’évaluation a été bonne, pour d’autres elle est désastreuse. 

— Que vas-tu faire ? »

Un instant de plus, je gardai le silence, en fixant la raison de leur présence à tous.

« J’attendrais quelques nuits. » Je détaillais les traits de Pandore et glissais mes lèvres sur sa tempe pour y déposer une bise. « Et si nul ne peut faire ce qui doit être fait… »

Son regard se fit grave. « Tu es trop liée à eux.

— Le mal nécessaire vaut tout aussi bien pour le sacrifice d’autrui que le sien, ma sœur. Éloigne-toi, ils viennent. »

Je repris le masque et le déposa sur mon visage, l’illusion entourant ma chair quand Serhan poussa la porte d’entrée.